19 Juin 2084

Cela fait deux mois que je n’ai pas écrit.

Dès mon départ vers la Catalogne je n’ai pas arrêté de penser à toutes ces archives que François garde et classe précieusement. Il y avait des milliers de vidéos, de discussions sur des réseaux sociaux, des blogs, des extraits de films ou des documentaires.

François s’applique une rigueur méthodique depuis plus de 60 ans à enregistrer une quantité phénoménale d’informations qui selon lui, et je le cite : « Constitue un empilement de signaux faibles qui expliquent et rendent compte, le plus justement possible, des moments forts d’une histoire en mouvement » à quoi il rajoute «mon travail de fourmis et mon accumulation gigantesque ne sont rien en comparaison des tonnes d’informations inutiles qui circulaient au début du 21ème siècle. J’ai dépensé beaucoup de mes Eath’s Point pour conserver et transmettre tout cela, j’espère que ce ne sera pas en vain !».

En vain, je suis certain que non. Mais en crapahutant les montagnes de Catalogne à la rencontre des photo-paysans, mi techniciens voltaïques mi bergers transhumants permanents, j’ai réalisé que je devais rapidement retourner voir François.

J’ai passé une paire de semaines à suivre un groupe de photos-bergers. Les pentes sud des Pyrénées sont parfaites pour la collecte des photons, et sont aussi des pentes productives pour l’élevage a transhumance rapide. Ces hommes et ces femmes conduisent des troupeaux de 600 à 2500 moutons ou vaches suivants les saisons. Ils avancent très vite en ne laissant brouter intensivement le bétail que quelques heures à chaque endroit. Aussitôt brouté aussitôt évacué. Le tout contrôlé par des bornes mobiles qui empêchent le bétail de sortir de la zone définie. L’herbe repousse très vite derrière, et ils ne reviennent au même endroit que deux ou trois fois par an. La fertilité des pentes de montagne a explosé me disaient ils depuis que cette technique est bien maitrisée.

Parallèlement à leur migration pastorale ils prennent soin des installations photovoltaïques et des unités de stockage inertiel, ou des pompes releveuses, ou des conduites de drainage de chaleurs. Utilisation raisonnée de l’espace. Respect des cycles de saisons naturelles…pour ce qu’il reste de saisons dans certains endroits.

Vos définitions d’automne, hiver, printemps et été n’ont plus du tout la même signification aujourd’hui. La notion de prévision météo non plus d’ailleurs. La normale saisonnière n’a plus de sens. Il n’y a plus de normale, mais nous avons les phénomènes et leur intensité. Certains arrivent avec un peu d’avance, rarement plus d’une semaine, d’autres vous sautent dessus en quelques heures. Ce sont les plus craints. Et nous nous préparons tant bien que mal au prochain, tous les jours.

C’est ce que font ces Photo-bergers est assez surprenant. Ils sont des amortisseurs de phénomènes. Ils accompagnent la création de la biomasse, de la biodiversité, du sol, ils entretiennent un peu de résilience hydrique et électrique. Ils aiment les deux.

Et ils reçoivent l’aide de beaucoup de pupilles. Ils me disaient aussi que du fait de leur spécificité ils avaient peu de demande de nomades, et que cela leur manquait un peu. Recevoir de vrais artisans, spécialistes, qui ont beaucoup voyagé, qui sont capables d’essayer de nouvelles approches, de questionner les pratiques. En ce moment ils leur manquent la visite d’un tailleur de pierre pour améliorer deux refuges techniques et aussi d’un mycologue. Ils ont découvert un champignon particulier qui améliore la durabilité et l’étanchéité des toits en bardeaux de pin.

J’ai compris à quel point toute expertise à la chance d’être utile et nécessaire quasiment partout. Pour le tailleur de pierre : en montagne, on comprend facilement ! Mais pour le mycologue, j’avoue que j’ai été surpris de voir comment un groupe de techniciens bergers avaient découvert que certains toits, colonisé par un champignon microscopique, étaient plus étanches et durables que d’autres. Non seulement observer mais en plus avoir la curiosité de trouver le spécialiste.

Je n’ai pas encore assez de connaissance pour penser que ma surprise était liée à un préjugé d’ignorance. Disons que j’étais puérilement intrigué et curieux. Ça aussi c’est une chose qui me travaille toujours, et de plus en plus. Cette curiosité permanente de tout le monde. Cette soif de savoir et d’apprendre. Et c’est pour cela qu’ils sont en manque de nomades dans ce petit coin de montagne. Ils ont toujours envie d’apprendre, toujours envie de faire mieux. Toujours envie d’améliorer la Terre.

C’est dommage, ce groupe était extraordinaire, deux familles, plusieurs célibataires, trois pupilles dont deux du Sahara. N’importe quel nomade du monde adorerait venir passer quelques mois ici.

J’ai passé vraiment deux semaines extraordinaires, trop courtes, évidemment. J’ai appris beaucoup. J’aime cette vie, je me remplis tous les jours. Et comme je suis encore un enfant je ne sais même pas si je peux me remplir plus ou si je vais arriver à saturation un jour.

Deux semaines d’alpage et en descendant dans la vallée avec quelques dizaines de kilos de leur miel d’alpage qu’attendent leurs clients, je savais que je devais retourner voir François.

J’avais passé déjà 16 jours sans écrire et sans me manifester, mais ce n’est pas grave. Il était urgent d’attendre plutôt que de continuer comme j’avais commencé. Ce n’était pas bon.

J’ai passé donc 5 semaines avec François. Presque en tête à tête intégral du lever du soleil au coucher, parfois trop tard. Aux champs, à l’école pour enseigner la recherche. Disons plutôt, François enseigne la recherche aux enfants, ils apprennent, et eux me l’ont enseigné ensuite. Je n’étais clairement pas au niveau sans leurs efforts de vulgarisation. Ils avaient tous entre 7 et 10 ans et ils ont tous commencé à chercher, réellement chercher depuis l’âge de 4 ans. Autant vous dire que j’étais à la ramasse. Mais avec eux, cela allait. C’était fluide. Et cela m’a beaucoup aidé.

Les après-midis nous étions chez François, dans sa grotte à information. Et je me suis laissé guidé, puis j’ai tiré un fil, puis j’ai émis une hypothèse, puis deux, puis j’ai construit des plans de test puis j’ai collecté, puis j’ai classé, puis j’ai modélisé, puis j’ai testé, puis j’ai conclus, puis j’ai modifié les hypothèses. Pendant 5 semaines. Je ne voulais pas reprendre le fil juste pour répondre à la nécessité. Je dis nécessité mais je n’en sais rien. On ne me l’a pas réellement imposée mais je sens les attentes. Même avec François, dans ces questions. Je sens des attentes. Attentes que je ne connais pas que je découvre. Attentes que je suppose, peut être trop. C’est pour ça que les semaines et les après midi et les nuits passées avec François ont été salutaires. Nous avons discuté et débattu énormément. Je sais que je dois agir. Je sais que votre présent est turbulent, inquiétant, maussade. Je sais que les tensions s’avivent entre états et à l’intérieur même des états. J’en sais trop maintenant et tant de choses que je ne peux pas vous dire. Mais tant de choses aussi que je peux vous dire, que je peux aiguiller. Vous avez trop d’information vous avez trop de tri à faire, vous avez trop de déchets dans vos communications. Vous avez trop de conflits internes et externes. Vous n’avez pas assez de rêves.

Je n’ai qu’une vision très parcellaire de ce que vous vivez, la plupart de vos données inutiles ont été purgées avec le temps. J’ai la vision du travail de François. J’ai une vision des événements. Je n’ai que ça.

Je sais que ceux d’entre vous qui me lisez, pouvez interagir avec moi. Attention pas de façon classique, instantanée et à deux voix. Je peux juste interagir avec vous via vos propres moyens de communication, mais je ne peux recevoir vos réponses.

Vous ne savez pas encore émettre.

Ca viendra et assez vite finalement.

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